jeudi 15 septembre 2005, par
13 septembre
J’ai encore du retard pour livrer les plans de la maison particulière sur la route Nord. Etrangement, je n’en ressens plus aucune culpabilité, car je suis bien décidé à démissionner et à disparaître de ce bureau étouffant.
16 septembre
Il semble qu’on ait eu plus de mal avec la réfection de l’immeuble des S... : comme si cela avait de l’importance, puisqu’ils ont tellement attendu qu’il n’y a plus rien à gagner au niveau fiscal désormais. Le quartier me semble plus vivable depuis que je me suis résolu à le quitter. Comme s’il voulait me faire regretter mon départ après tous ces mois d’oppression et de stress ! Les rues elles-mêmes semblent plus calmes qu’à l’ordinaire, les gens sensiblement moins bruyants. Anyway ! Je m’en vais.
20 septembre
J’ai remarqué une bien étrange chose ce matin en partant au travail (plus que 13 jours dans cette boîte infâme !). Le mur de l’immeuble du coin de la rue était complètement noir, comme s’il avait été repeint dans la nuit. Ou ne l’aurais-je point remarqué hier ? Il est vrai que je suis rentré tard. Et aujourd’hui encore, je vais rester longtemps au bureau pour m’entendre encore une fois dire quelle chance j’avais de travailler pour eux et combien légère et insouciante est ma décision de les quitter.
Je ne comprends pas pourquoi ils s’obstinent à me parler comme si je n’avais pas passé un an et demi à les connaître, à les déchiffrer, comme si les chiffres d’esbroufe et les idées reçues sur le bureau étaient encore capables de m’impressionner. Quel immobilisme ! Ils travaillent dans le béton et bientôt, ils seront aussi gris, aussi fade et inerte que ce matériau insipide et navrant.
21 septembre
Comme je me suis accordé le droit d’arriver en retard, je suis allé voir le mur d’en face. Eh bien, il n’est pas peint, il est constitué d’un bloc uni, dans un matériau complètement noir. Comme si on avait collé une surface sur le crépi, une espèce de plastique dur, un truc moderne pour imiter le marbre. Ca me semble un peu absurde. Ce qui veut dire que soit 1) je suis un architecte qui n’est pas dans le coup, soit 2) le propriétaire a fait ça tout seul. Je ne présume de rien, je crois que je suis de plus en plus allergique à ce qui peut correspondre, même de loin, à mon travail.
22 septembre
J’en ai vu un autre, sur Columbia Avenue ! Un mur, enfin, disons, une portion de mur recouverte de cette matière noire. J’ai donné quelques coups de fils à mes amis artistes pour savoir quel demi-génie a eu cette idée de faire un happening sur les murs de la ville. Et ce que ça peut bien vouloir dire. C’est important pour un architecte de savoir ce que projettent les artistes sur les murs. C’est comme ça que j’ai suivi ce groupe de graffiteurs pendant des semaines. N’importe quoi.
En tous cas, pas de projets d’art dans la ville qui y ressemble dans leurs cartons.
24 septembre
La rue était pleine de monde ce matin, mais tout le monde était silencieux et calme, comme les enfants qui attendent avec anxiété le tonnerre alors qu’ils viennent d’apercevoir un éclair et qu’ils savent que le grondement céleste roule vers eux.
Au pied du mur noir, il y avait une vaste flaque de sang. Des inspecteurs posaient des questions aux vieux du quartier, des policiers faisaient des prélèvements. La flaque m’a laissé une impression lourde et collante. Cela ressemblait vraiment à un seau que l’on aurait renversé là, cette gerbe éparpillée écarlate sur le trottoir, au pied du mur.
Le mur, lui, luisait, intact.
26 septembre
J’ai vu quatre autres murs noirs sur le trajet qui me mène au travail. Les gens les désignent du menton. Le vendeur de journaux de Reverence Street s’est déplacé de quelques mètres pour ne pas avoir un mur noir dans le dos.
J’en connais désormais six et j’ai saisi quelque chose ce matin : tous ceux que j’ai vus ont la même taille. Mon œil exercé l’affirme avec une certitude préoccupée. A quoi est-ce que peut servir cette collection de murs noirs parfaitement identiques dans toute la ville ? J’ai perdu quelques heures à faire des recherches sur les autres grandes villes du pays, à donner des coups de fils à des copains de promotion, mais ils n’ont pas vu de murs noirs chez eux.
28 septembre
Les murs sont partout. Partout. Dans chaque rue désormais, parfois plusieurs par rue. Deux rues plus haut, vers Monument, des jeunes ont attaqué le mur pendant la nuit avec des barres de fer. J’ai pu regarder les entailles, et effectivement, c’est une matière de quelques millimètres d’épaisseur qui recouvre le mur. Mais elle ne semble pas être en plastique comme je l’avais pressenti, on dirait bien un film minéral en fin de compte. Une sorte de basalte, peut-être ? Ce serait le plus léger pour transporter les murs la nuit. Car on ne voit les nouveaux que le matin. Et jamais ceux qui les posent.
29 septembre
Il y a eu beaucoup, beaucoup d’autres murs dont le trottoir, juste devant eux, semblait avoir été le théâtre de cette explosion de sang. Des membres de la police scientifique parcourent la ville. Les rues sont calmes et vides. Il n’y a plus ni oiseaux, ni chiens ou chats. Les mères veillent sur leurs petits comme des louves en hiver.
Le mur qui avait été abîmé est de nouveau parfaitement lisse, comme indemne.
30 septembre
Je sais.
La vérité crue.
En rentrant chez moi, je suis passé derrière le building Moranis, pour éviter le café où vont tous les collègues. Il y avait ce répugnant mur noir, cette incongruité. Et à son pied, non pas une explosion pourpre, mais la moitié d’un rat, les pattes arrières d’un rat, dont l’abdomen, précisément découpé à la verticale, reposait contre le mur.
Nous avions tort depuis le début.
Il ne s’agit pas de murs.
Mais de portes.
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