Autour de la table basse, tous les hommes avaient les cheveux comme la neige qui tombaient lentement dehors et les pupilles comme des lacs de montagne.
- Alors, mon fils, demanda un homme au visage carré et énergique, as-tu la réponse à cette question ?
Il reposa sa coupe de thé et se resservit. La théière portait une gravure de fleur : une fleur à seize pétales qui ne marquait pas son Clan. Derrière lui, de l'autre côté de la paroi largement ouverte, deux yojimbo en armure lourde portaient cette fleur sur leur poitrine.
- Non, mon père. Le jeune bushi qui avait pris la parole avait une forte carrure, les cheveux attachés courts du guerrier, un kimono permettant de larges mouvements ; il était séparé du premier par un homme élégant vêtu de soies précieuses. Les hommes de Retsu-daimyo semblent penser qu'ils ont fui ensemble. La dame de compagnie de notre bien-aîmé Empereur va devoir attendre encore un peu pour savoir si elle a perdu cette ... "artiste".
- Hum. Autant ne pas le lui dire tout de suite. Votre avis, Uji-san ?
- J'avais rencontré ce jeune homme. Un homme sérieux. Dans le panier de crabes qu'est en train de devenir ce fief, il est plus probable que sa fuite cacherait une critique de son seigneur plutôt qu'une fugue amoureuse. J'y vais cet hiver, de toute façon : si vous voulez, Dono, j'enquêterai là-dessus.
Le dénommé Uji portait la marque de sangles et de plaques sur son kimono bleu azur ; situé en face du premier, il était le seul homme sans ratelier à sabres derrière lui.
- Non, vous avez d'autres missions déjà. J'enverrai quelqu'un moi-même.
- Cela va faire du monde ! Pour un daimyo local, Cela va faire du bien beau monde !
Le petit homme qui avait lancé cette exclamation portait beau : kimonos doublés d'or, pompons, col montant haut. Et des mains fines, au doigts longs, dénués de cals.
- Pourquoi cela, Yoshi-san ?
- Uji-san va là-bas pour vérifier que Retsu-san obéit encore à vos ordres, avec l'état major habituel d'officiers qui peuvent aussi remplir "d'autres missions". Votre fils envoie un de mes hommes pour essayer de voir dans l'état de préparation militaire si Retsu-san a déjà commencé à vous désobéir. Vous envoyez un magistrat spécial pour voir si Retsu-san vous désobéit suffisament pour que ses samurai commencent à déserter. Et si tous les trois se mettaient en tête de vous ramener une réponse positive ? Vous comptez y faire un tour vous aussi au printemps ? Je vous rappelle que votre fils aîné se marie, au printemps !
- Ha ha, mon frère, vous avez raison. Je n'enverrai pas un magistrat. ... Par contre, une jeune femme à marier, peut-être.

***
Dans les Appartements du Commandant de la place, à Kyuden Doji, une heure plus tard.
- Bon, je résume. Vos ordres sont confirmés, Iemitsu-san. Vous partez demain pour le nord ; vous passerez l'hiver à Kyuden Kyotei, chez le daimyo Tsume Retsu. C'est un vassal de mon père, Akodo Dogei-san, ajouta-t-il à l'égard d'un tout jeune samurai rangé dans la ligne des jeunes officiers qui triaient les papiers du vieu commandant.
- Je vous remercie de votre courtoise attention, Doji Kuwanan-sama. je connaissais déjà le nom du maître actuel de Kyuden Kyotei, acheva-t-il avec une grimace.
- Ah oui, c'est vrai, j'oubliais que votre mère était une Damasu. Mes condoléances à votre famille, Dogei-san. Vous savez que nous déplorons les manières qui se sont manifestées lors de la prise du château.
- Je le sais, Kuwanan-sama. Je transmettrai à mon père quand je le verrai - dans deux ans.
- Bien, reprenons. Durant votre voyage, soyez attentif aux détails et aux attitudes des daimyo invités : Ikoma Ujiaki (il lança un regard vers Dogei) sera probablement entouré de gens compétents ayant la même mission que vous ; les Phénix seront certainement plus doux ... et aussi plus fouineurs.
***
Dans une salle d'audience de Doji Satsume, au même moment
Le trône d'or, derrière un voile blanc dentelé, était vide. A ses pieds, sur un gros coussin rouge, Doji Konoe, karo de la Famille Doji, regardait le maintien altier de la jeune courtisane agenouillé dans la pièce. Il referma son éventail.
- Doji-san, la situation est embarrassante. Un samurai de notre Famille semble avoir disparu des terres de son daimyo, Doji Tsume Retsu. Il est connu pour flirter avec une jeune conteuse de la Famille Bayushi, qui a également disparu, et dont le sort semble préoccuper les daimyo du Clan du Scorpion. Je veux que vous alliez à Kyuden Kyotei, près des terres du Clan du Phénix, pour représenter notre seigneur Doji Hoturi-dono auprès du daimyo, certes, mais aussi pour vérifier que cette disparition est bien une fugue amoureuse.