Le week-end dernier, partie de ma campagne
Goules, jouée en une douzaine d’heures à partir de 19h le samedi soir avec quatre joueurs. Il s’agissait d’une partie sur laquelle je nourrissais d’immenses espoirs et qui n’a pas du tout tourné comme je l’espérais, me laissant vraiment insatisfait et frustré comme rarement.
Le scénar à la baseQuand j’ai préparé cette partie, j’avais une triple ambition :
- Exploiter et développer le background sur la jeunesse d’un des PJ (Douglas Bloomberg, le perso de Nevenka, né dans une communauté de fermiers déclassés socialement du Minnesota rêvant d’ascension sociale – via une bourse d’étude pour une académie militaire auquel il peut prétendre vus ses résultats scolaires et en athlétisme – mettant enceinte un flirt qu’on l’oblige à épouser à 17 ans et qui va abandonner femme, enfant et famille – qu’il ne reverra jamais – pour mener ses objectifs à bien) ;
- Jouer davantage sur les émotions que dans mes précédentes parties et ajouter une tension dramatique et psychologique ;
- Rompre avec l’habitude de collecte d’informations basée sur des cambriolages et des filatures (dont je me lasse fortement à cause de leur caractère devenu trop routinier) pour la centrer sur les interactions avec les PNJ.
Pour y parvenir, je construis une histoire qui trouve principalement ses racines à deux sources :
- L’excellent
Le Dernier des Innocents de Brubacker et Phillips mais que finalement je triture tellement que je pense que quelqu’un qui l’aurait lu et aurait joué ma partie n’aurait pas nécessairement vue les ressemblances.

- Une des trames classiques du Western : une communauté martyrisée par un individu puissant avec de gros moyens financiers et de nombreux tueurs à sa botte va se trouver un sauveur en la personne d’un enfant du pays ayant quitté la communauté longtemps auparavant en raison d’une « faute » qu’il a commis, qui est unanimement méprisé pour cela, mais qui est devenu un redoutable manieur de flingue et qui va trouver une forme relative de rédemption dans l’affrontement périlleux contre le puissant ennemi de ses anciens proches.
A cela j’ajoute la mécanique de mise en scène de la série Cold case utilisant le flashback avec une superposition des visages de l’époque et du présent et un usage important des musiques en vogue à l’époque des flashbacks présentés.
Avec ça en tête, je ponds la trame suivante :
La Camorra napolitaine, qui tire désormais une part non négligeable de ses revenus du faux traitement de déchets industriels extrêmement nocifs qui finissent enterrés dans des terrains de fermiers pauvres de Campanie ou en Afrique, envisage d’étendre ce modèle économique aux États-Unis. Pour cela, l’organisation mafieuse réalise auparavant « une étude de marché » et envoie un géologue étudier des terrains dans le Minnesota (et plus précisément dans la région où Douglas Bloomberg a grandi, le quartier (fictif) d’Oak Grove Hill dans la ville de Bloomington) afin de savoir s’il est possible d’y enfouir des déchets sans provoquer une pollution trop rapide des nappes phréatiques qui ferait repérer les enfouissements de déchets trop rapidement. Mais le géologue envoyé découvre, sur les terrains sélectionnés, des traces démontrant une forte présence de gaz de schiste et la Camorra décide de changer son fusil d’épaule en acquérant ses terrains afin d’en exploiter le gaz. Malheureusement pour elle, l’épicentre du gisement se trouve sous un grand terrain forestier exploité par Philbur Doolittle, un industriel du bois et magnat local, un « patron de droit divin » presque davantage intéressé par le pouvoir local que lui donne sa richesse que par des profits à courts termes et qui est peu disposé à vendre ou à se laisser impressionner (il a un contrôle important sur la vie politique locale, sur les autorités judiciaires et n’hésite pas à recourir à des gros bras pour calmer les velléités syndicales de ses employés ou pour servir de service d’ordre/colleurs d’affiche aux politiciens locaux qu’il soutient). Il ignore cependant la valeur réelle et sous-terraine des terrains dont il dispose.
La Camorra, bien décidée à acquérir les terrains qu’elle convoite, enquête sur les entreprises Doolittle. Elle découvre que la famille Doolittle possède 52% de son entreprise (le reste des actions appartient à des investisseurs variés disposés à vendre si on leur fait une bonne offre) et ces 52% se divisent entre Philbur Doolittle (26%) et sa fille, Felicity (26%). Cette dernière a deux enfants (de 15 et 16 ans) qu’elle a eu avec Mark Van Horn, un ancien ami/rival de Douglas quand ils étaient au lycée, et qui hériteraient de ses parts si elle mourrait. Mais comme ils ont 15 et 16 ans, c’est Mark Van Horn qui devrait gérer la fortune de leur mère jusqu’à leur majorité. Or, ce dernier, méprisé par son beau-père, se console des frustrations et humiliations qu’il subit dans sa belle famille en jouant et en fréquentant des prostituées et il doit de l’argent à la pègre locale. La Camorra envisage donc de s’appuyer sur le crime organisé de Minneapolis pour faire grimper la dette de Van Horn (en truquant des jeux auxquels il participe), lui mettre la pression puis supprimer Felicity avant de forcer son mari à vendre ses parts. Ainsi, avec les actions acquises auprès des autres investisseurs, les mafieux prendront le contrôle de l’entreprise Doolittle puis « découvriront » le gaz de schiste. Mais pour que le plan fonctionne, il ne faut pas que Van Horn soit soupçonné car, même s’il n’y est pour rien et n’est pas informé du projet, une procédure judiciaire le concernant l’empêcherait de gérer les actions pendant un temps suffisant pour que les petits-enfants de Philbur soient majeurs. Il faut donc que Mark Van Horn ne puisse pas être accusé.
Les conjurés décident donc d’imputer le crime prévu à quelqu’un d’autre, à masquer le fait que Felicity Doolittle-Van Horn est leur véritable cible en incorporant son crime dans une série de meurtre et envisagent de « réanimer » un tueur en série (le « Maniaque de Bloomington ») jamais identifié et arrêté qui a sévi dans les années 70 dans la région avant d’arrêter brusquement de commettre des crimes. Le meurtre de Felicity sera noyé dans la masse puis un pigeon sera accusé du crime. Une stratégie qui va réveiller indirectement de vieux démons dans la communauté où Doug est né.
En effet, la série de crimes initiale est concomitante d’un autre évènement qui eut un impact durable sur la vie d’Oak Grove Hill, le quartier où Doug a grandi, et si les meurtres ont pris fin, ce n’est pas un hasard. En 1972-73, Philbur Doolittle envisage de s’étendre, d’acquérir de nouvelles parcelles de forêt et d’implanter une nouvelle scierie industrielle sur des terrains municipaux loués à des classes populaires qui y ont installé leurs mobil-homes (« les baraquements d’Oak Grove Hill »). Ces familles, dont celle de Doug, ont dû se battre auprès de la mairie pendant des années pour que ce terrain soit équipé de l’électricité, de l’eau courante et d’une route goudronnée jusqu’à chez eux. Elles payent un petit loyer pour occuper le terrain et ont implanté des jardins ouvriers qui leur permettent d’agrémenter leur quotidien. Elles refusent que les infrastructures qu’elles ont obtenues de haute lutte soient utilisées au profit de Doolittle et que leur situation économique précaire soit gravement dégradée par l’obligation de trouver un autre endroit (plus cher ou beaucoup plus isolé) où s’installer. Doolittle est soutenu par les autorités municipales et chaque manifestation des habitants s’accompagne d’arrestation par la police locale qui agit, de facto, comme la milice de Doolittle. Mais la détermination de la population ne faiblit pas.
Le collectif en lutte contre Doolittle trouve un porte-parole efficace en la personne de David Rosen, un charismatique professeur d’Histoire du lycée où Doug suit ses études. Bon orateur et bon rédacteur de communiqué de presse, Rosen argumente au nom de l’intérêt général et non de son intérêt particulier (il n’habite pas lui-même dans le quartier et appartient à la petite bourgeoisie) et son statut de vétéran du Vietnam blessé au combat et décoré de la Purple Heart l’immunise contre toute accusation de « communisme ». Mais Rosen n’est pas le héros idéal qu’il semble être. Revenu cassé psychologiquement de la guerre, c’est aussi un psychopathe qui assouvit ses pulsions en tuant des prostituées et des femmes « de mauvaise vie » vivant seul dans les quartiers populaires où il est moins connu et identifiable.
Rosen a un ascendant psychologique important sur un ami d’enfance de Doug, Bill « Jughead » Juginsky, élevé par une mère célibataire alcoolique et sujette aux sautes d’humeur, qui va voir en Rosen un père de substitution. La mère de « Jughead » le constatant va tenter de séduire David Rosen dans une médiocre tentative de renouer les liens avec son fils. Suivant Rosen un soir pour tomber « par hasard » sur lui et lui faire du rentre-dedans, elle va découvrir qu’il est « le Maniaque de Bloomington ». Elle va avertir les principaux meneurs de la lutte des baraquements d’Oak Grove Hill (dont le grand-père de Doug) qui vont être confrontés à un dilemme : Dénoncer Rosen c’est la certitude que Doolittle capitalisera sur cette affaire pour obtenir gain de cause ; ne pas le dénoncer prolongera la série de meurtres. Ils optent donc pour une troisième solution et organise un « accident de chasse » pour éliminer David Rosen.
Bien que cela ne faisait pas partie du plan, les exécuteurs de David Rosen vont tirer un bénéfice à court terme de cette mise à mort. La population locale va se convaincre que Doolittle a assassiné Rosen et maquillé son crime en accident de chasse. Confronté au scandale, la municipalité retire son soutien au projet et Doolittle, qui ne sera jamais inquiété par la justice mais que beaucoup considèrent comme coupable, devra abandonner son projet. Indirectement, cela va bénéficier à Doolittle puisque, changeant son fusil d’épaule et ne disposant pas d’un terrain boisé à côté d’Oak Grove Hill ayant une taille critique suffisante pour être exploité par l’industrie du bois, il va diversifier ses activités et y faire construire un hôtel de luxe dans les bois qui va s’avérer très rentable. Toutefois, malgré cette conclusion heureuse pour lui, il ne pardonnera jamais aux habitants des « baraquements » et il black-listera toute demande d’embauche en provenant, isolant économiquement davantage le quartier.
Les exécuteurs de David Rosen garderont globalement le secret pour eux et l’emporteront dans la tombe. Il y a toutefois deux exceptions :
- Le grand-père de Doug l’avouera à sa fille, la mère de Doug, avant de mourir ;
- Un soir d’ivresse, la mère de « Jughead » révèlera à son fils que son « héros » était un assassin, perturbant davantage encore un adolescent qui n’en avait déjà pas besoin.
« Jughead » développera une fascination pour l’affaire du Maniaque de Bloomington, espérant – sans y croire vraiment -trouver dans la presse et les témoignages sur l’affaire un signe que sa mère lui avait menti et qu’il ne s’était pas trompé sur le seul homme qu’il avait aimé comme un père. Il a géré également son mal-être en devenant alcoolique et toxicomane. Ce n’est qu’un peu moins de deux ans avant le début du scénar qu’il a réussi à se reprendre en main et qu’il a rompu avec ses addictions.
Pour le plan de la Camorra, Jughead est le pigeon idéal : un type instable qui a contacté beaucoup de policiers sur l’affaire du Maniaque de Bloomington et qui a été toxicomane pendant presque toute la période entre la fin de série de meurtre des années 70 et celle que la Camorra envisage d’organiser. Il sera facile de l’accuser d’être le criminel des années 70, qu’il a combattu ses pulsions par la consommation de drogue et d’alcool mais qu’une fois sobre, il s’est remis à tuer. La Camorra met toutes les chances de son côté en associant à ses projets le procureur en charge des affaires criminelles (Assistant City Attorney for Criminal Affairs) de Bloomington : un ancien camarade de lycée de Doug, placé à son poste grâce à Doolittle mais qui espère une carrière politique que la Camorra est prête à financer alors que Doolittle le trouve très bien à son poste et entend qu’il y reste. Ce dernier livre aux conjurés toutes les informations du dossier du Maniaque de Bloomington, y compris les informations jamais révélées au public afin de renforcer l’illusion d’un unique tueur.
Les hommes de main de la Camorra commencent leur série de crime en reproduisant le mode opératoire du Maniaque de Bloomington et en frappant à des moments ou Jughead n’a pas d’alibi. Ce dernier est bien évidemment très perturbé par les nouveaux meurtres, ce qui accroit son profil de coupable idéal.
La mère de Doug est, elle-aussi, choquée. Elle croit qu’elle est désormais la dernière à savoir que David Rosen était l’assassin et craint que la police ne perde son temps à rechercher un tueur frappant déjà dans les années 70 alors qu’il est déjà mort. Elle envoie donc une lettre anonyme au procureur pour expliquer que David Rosen était le criminel et qu’il a été tué par des « citoyens concernés ». Le procureur reçoit la lettre, ne la verse pas au dossier mais fait une demande d’analyse d’empreinte du courrier et découvre l’identité de l’expéditeur. Il fournit l’information à la Camorra qui décide de supprimer ce témoin gênant en gazant la vieille dame dans sa salle de bain de façon à faire passer sa mort pour un malaise cardiaque. Malheureusement pour les criminels, elle en réchappe. Comme la vieille dame est hospitalisée et entourée par sa famille et qu’une nouvelle tentative de meurtre attirerait trop l’attention, la Camorra improvise sans sortir totalement de son plan : ses tueurs profitent que l’arrière petite fille de la vieille dame (la petite fille de Doug) ait été laissée chez une amie de ses parents pendant que la famille était rassemblée à l’hôpital pour supprimer la baby-sitter en utilisant la méthode du maniaque de Bloomington et pour kidnapper la fillette de 7 ans. Pour la police (lourdement aiguillé dans ce sens par le procureur), le tueur a encore frappé mais il y avait un témoin et, comme elle ne correspondait pas à son profil, il a paniqué et l’a enlevé. Dans le même temps, les conjurés font passer le message à la mère de Doug à l’hôpital : si elle dit ce qu’elle sait sur le Maniaque de Bloomington, son arrière petite fille mourra. Les tueurs comptent bien continuer leur plan puis provoquer une « complication cardiaque » pour la vieille dame avant de supprimer la gamine.
Mais ce plan connait un gros écueil : l’alerte enlèvement de la fillette alerte Douglas Bloomberg qui décide de rassembler ses associés pouvant l’aider et de revenir à Bloomington pour retrouver sa petite fille.
Voilà, ça c’était mon pitch. J’en étais super content.
Je construis une palanquée de PNJ (dont certains étaient déjà dans le quartier à l’époque de Doug, d’autres non) en pompant allègrement sur ce
site consacré à Cold case où je récupère des tas de photos afin de jouer sur la tête qu’ils avaient dans les années 70 et maintenant. Je sais que je ne les utiliserai pas tous mais ça permet de couvrir un paquet de pistes et d’interactions différentes. Je prévois mêmes des tas de photos « avant/après » en rab’ au cas où il faudrait que j’improvise des PNJ.
Je pense beaucoup à eux, je sais comment ils s’expriment, je connais leur histoire, leur rapport à Doug à l’époque et maintenant, leurs relations entre eux, je suis super au point. La quasi-totalité disposent d’informations qui rassemblées entre elles permettent de comprendre la totalité de l’histoire. C’est par leur biais qu’émergera la vérité, pour moi ça ne fait pas de doute, mais pour les recueillir il faut s’exposer à leurs reproches, leur regret et au passé du personnage de Doug.
Je me fais également des stocks de musiques des années 70 à 75 pour illustrer des flashbacks de la vie de Doug et de ses relations aux PNJ dans les années 70. Je gère !
Fais ton jet de « Je gère ! » ? Echec critique ! Pour cette partie, quatre joueurs sont disponibles : Celui de Doug (Nevenka), ceux de Dwayne (Didi) et Dominic (Liviana) et celui de Gazmir (leur profil sont ici
viewtopic.php?f=2&t=32864&p=1002759#p1002759 )
Il est assez logique que Doug fasse appel à Dwayne et Dominic pour l’aider. Gazmir, c’est moins évident mais comme Doug fait environ 15 ans de moins que son âge réel, je justifie la présence de Gazmir par sa capacité à grimer les autres de façon à vieillir Doug pour qu’il fasse son âge (si le joueur de Gazmir n’avait pas été là, Doug aurait dû justifier son apparence par le recours à la chirurgie esthétique).
Avec cette justification pour intégrer un joueur, je me rends compte qu’il y a un risque que Nevenka risque de lui demander non pas de le vieillir mais de le faire passer pour un autre mais je me crois capable d’orienter son choix en douceur de façon à ce qu’il assume son identité et qu’il y ait un maximum d’interactions avec les PNJ.
Bref, je suis trop confiant.
Un autre souci se glisse dans la conception du scénario dont je ne tiens pas assez compte et dont je ne mesure pas réellement la portée.
J’avais parlé à plusieurs reprises avec Nevenka de la jeunesse et de l'enfance de son perso mais je n’avais aucune trace écrite. Quand je commence à écrire le scénar, je m’appuie sur mes souvenirs de nos discussions et, à tort ou à raison, je crois me souvenir qu’il m’avait été dit que Doug vient d’un petit village isolé d’un Etat du Nord Est des Etats-Unis. Comme j’ai prévu que la partie se déroulerait en décembre 2013 et qu’à cette époque là, il y a
une terrible vague de froid sur toute la côte Est, cela renforce l’isolement du patelin et rend toute tête nouvelle très repérable, renforçant les interactions puisqu’elles sont obligatoires.
Par acquis de conscience, alors que la conception du scénar est déjà bien entamée, je demande au joueur de me préciser quelques points de son background par écrit et il m’explique alors qu’il est né à
Bloomington, la quatrième plus grande ville de l’agglomération de Minneapolis basée à 20 kilomètres du centre ville de cette dernière. Je grince un peu des dents mais comme il me décrit son quartier d’origine comme une zone en marge de Bloomington et replié sur lui-même, je me dis que ça ne change pas grand-chose finalement et que ça me permettra de justifier l’arrivée de renforts pour les méchants si j’en ai besoin.
Je minimise sans doute trop le fait que si Oak Grove Hill est isolé socialement, économiquement et symboliquement de Bloomington, le quartier n’est pas isolé géographiquement et que les PJ peuvent donc rester longtemps en dehors sans s’éloigner du lieu de l’action et ne faire que des visites sporadiques là où Doug a grandi. Et c’est exactement ce qu’ils vont faire.
La partie commence par une cinématique où je décris au joueur incarnant Doug le choc consistant à voir son fils sur CNN adressant, face caméra, un message au ravisseur de sa fille, découvrant en même temps qu’il est grand-père et que sa petite fille a été enlevée. Je traduis l’état d’esprit du personnage (me trouvant alors limite trop dirigiste, la suite me prouvera que non) et pourquoi il est logique qu’il fasse appel à Dwayne, Dominic et Gazmir. Je pense cette scène comme une note d’intention : Doug n’en a aucune envie mais il va devoir revenir à Bloomington après 38 ans d’absence, il va devoir retrouver des personnes qui le méprisent sans doute pour sauver cette petite fille qu’il ne connait pas.
Rapidement, une partie des joueurs considère que plutôt que de grimer Doug pour le vieillir, il vaut mieux complètement le déguiser en un autre. J’essaye d’orienter subtilement le choix en indiquant que si le fait de passer pour un autre permettra plus facilement de disparaître dans la nature en cas de problème avec les autorités, il n’aura accès au dossier de l’enquête et aux informations des autorités que s’il apparaît sous sa vraie identité et peut démontrer un lien avec la fillette enlevée. En outre, ce groupe de gros bras posant des questions attirera des soupçons beaucoup plus que si c’est un grand-père qui recherche sa petite fille.
Ils décident quand même, à la majorité, de cacher que Doug est Doug.
Aïe ! Mais ce n’est pas encore trop grave, je me dis que face aux difficultés de collecte d’informations et compte-tenu de l’urgence, j’arriverai à les faire changer d’avis. J’aurais moins de temps pour installer les relations avec les PNJ mais je ferai avec.
Les PJ commencent donc leur enquête en décidant de se faire passer pour des journalistes. Une partie du groupe va acheter du matériel pour crédibiliser leur couverture, l’autre essaye d’avoir des informations par la police, sans contacter les PNJ avec qui Doug a eu un lien affectif. J’exploite les difficultés classiques de ce type de collecte quand on est en dehors de l’affaire pour empêcher d’avoir accès aux informations cruciales en me disant que les PJ vont changer de stratégie en faisant face à un mur. Mais jamais ils n’évoquent de possibilité de changer de plan et cette partie dure, dure, dure….
Ce n’est pas palpitant et moi et mes joueurs sommes fatigués car nous avons eu de grosses semaines de boulot et/ou des déplacements longs pour venir avant le week-end. Ca n’aide pas. Je commence à m’inquiéter : ils n’envisagent pas de modifier leur plan initial et tout ce que je fais ne contribue qu’à rendre le rythme plus lent et à gâcher le premier acte. Une somnolence semble s’installer, ce n’est pas bon. Il faut que je m’adapte. Je décide de changer de stratégie : je vais donner un accès aux informations mais il faut que je les fasse déboucher sur une nécessité de discuter avec les PNJ importants impliqués émotionnellement et pas simplement des anonymes qui font leur job.
Je distille les informations et je profite des lieux visités pour lancer des amorces présentant les PNJ importants que je compte réutiliser par la suite. Mais la pluie tombe drue dehors et fait un bruit infernal, les musiques employées sont à peine audibles et je dois pousser ma voix pour me faire entendre, sans possibilité de la moduler pour instaurer une ambiance dans les descriptions des lieux et souvenirs évoqués. Ca tombe à plat. Je me trouve mauvais et les conditions climatiques ne m’aident pas. La poisse ! Intérieurement, je m’énerve de plus en plus.
Même si je ne ressens pas la fatigue à ce moment là, j’ai très peu dormi la veille (moins de 3 heures) et ça ne doit pas m’aider à improviser ou à être réactif. Au fur et à mesure que la partie avance, je m’agace et je trouve que je n’arrive à rien de ce que je voulais faire.
Je donne des infos semblant démontrer que les affaires des années 70 et actuelles sont liées (même mode opératoire avec des caractéristiques qui n’ont jamais été révélées à la presse). Ils découvrent que la mère de Doug a envoyé un courrier au procureur secrètement (mais ils ignorent son contenu). Grâce à leurs capacités surnaturelles, ils arrivent à connaître le visage du meurtrier (je m’en fous, c’est un homme de main de la pègre de Minneapolis) et à identifier un tatouage qui connecte le type au
Capra/Patterson syndicate, le crime organisé de Minneapolis. Avec ces infos j’espère deux choses :
- Forcer les PJ à aller interroger la mère de Doug à l’hôpital pour connaître le contenu de la lettre ;
- Se renseigner sur le Capra/Patterson syndicate, ce qui devrait les orienter vers un PNJ (un prêteur sur gage d’Oak Grove Hill) qu’a connu Doug par le passé, qui devrait avouer qu’on lui a demandé des renseignements sur Jughead sans qu’il sache pourquoi ni qu’il puisse donner un moyen de trouver un membre de la pègre, ce qui devrait orienter les PJ vers Jughead et, de là, vers d’autres PNJ.
Dans le même temps, je déclenche le meurtre de Felicity Doolittle pour accélérer les choses et redynamiser la partie.
L’info sur le syndicat du crime de Minneapolis est intégrée dans la réflexion des joueurs mais ne donne lieu à aucune quête d’information supplémentaire. Encore raté.
Pour le courrier envoyé par la mère de Doug, les joueurs décident dans un premier temps de tenter de kidnapper le procureur pour le faire parler sur le contenu de la lettre (ils savent qu’il ne l’a pas versé au dossier et qu’il a fait une recherche d’empreinte qui a donné un résultat la veille de l’accident cardiaque de la mère de Doug). Encore une fois, il ne s’agissait pas de l’issue que j’avais prévue mais je profite du fait qu’il travaille beaucoup sur l’affaire et qu’il est toujours entouré pour les décourager. La surveillance du procureur pour s’assurer qu’il ne peut pas être enlevé prend du temps. Je m’ennuie.
Nevenka décide que finalement Doug va assumer son identité et rendre visite à sa mère. Ouf !
La scène de confrontation entre Doug et sa mère est bien. C’est ce que je voulais et attendais mais il est déjà bien tard et je sais que les interactions avec les autres PNJ seront forcément plus réduites que prévues mais je reprends espoir.
Autour de la mère de Doug, il croise d’autres PNJ que je peux installer (l’ex-beau père de Doug, le médecin de famille, l’ancienne brute du lycée qui est devenu un flic en butte avec sa hiérarchie et qui protège Oak Grove Hill du mieux qu’il peut). Doug ne se cache plus donc je me dis que je vais pouvoir sortir mes PNJ attirés par le retour de l’enfant prodigue.
Mais il est tard et avec la fatigue, ce sont les comportements réflexes expérimentés mille fois auparavant qui s’imposent à la réflexion : les PJ vont se rendre introuvables et je n’aurais pas les moyens de faire sortir mes PNJ. On reprend les habitudes : surveillance, effraction, fouille de locaux, etc. Je suis déçu, énervé par mon incapacité à orienter la partie comme je l’entends et fatigué. J’ai l’impression (à tort semble-t-il) que mes joueurs s’ennuient aussi et à ce moment là, j’ai l’envie fugace de bazarder la fin de partie.
Je veux toutefois tenter une dernière chose. Comme il me semble acquis que les joueurs vont rester fidèle à leurs habitudes, je décide, à l’occasion d’un passage des PJ à leur motel de les faire attendre par une bande de loubards : la Camorra les a engagés en apprenant le retour de Doug Bloomberg dont elle ignore s’il représente un motif d’inquiétude ou non. La bande doit provoquer une bagarre pour un motif futile afin de jauger Doug et ses comparses et, si possible, les envoyer à l’hôpital. Je me dis, connaissant mes joueurs, qu’ils vont leur rentrer dedans, en faire parler un et il s’avèrera qu’il a été également engagé pour suivre Jughead à un moment ce qui devrait amener Doug à retourner vers cet ancien ami.
Sauf que mes joueurs repèrent les PNJ et décident, contrairement à leurs habitudes, de ne pas se faire remarquer et de ne pas rentrer à l’hôtel pour ne pas attirer l’attention sans provoquer de bagarre.
Je comprends que c’est définitivement cuit.
La fin de partie est classique dans le mode infiltration-combat-menace pour avoir des informations-infiltration-etc. J’essaye de la faire du mieux que je peux mais le cœur n’y est plus.
Les PJ, comprennent les tenants et aboutissants, retrouvent la petite fille et Doug décide de la laisser à l’ancienne brute du lycée devenue flic pour qu’il la ramène à son fils. L’échange avec ce PNJ est bien. Je termine sur une note positive mais ça me souligne également ce que j’ai raté.
Mes joueurs m’ont déclaré avoir apprécié la partie. Moi pas.
J’étais fatigué, j’ai mal anticipé leurs réactions et je n’ai jamais réussi à réorienter la partie.
J’aurais dû plus exposer mes ambitions, en parler dès le début. Dire clairement ce que je voulais mais je n’ai pas voulu être dirigiste. Ils étaient fatigués aussi et sont donc restés dans leur routine, ce qui était prévisible rétrospectivement.
Je ne leur en veux pas mais à moi, si.
Contraint par ses joueurs à être le Luc Besson du JdR.
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