Ce week-end, scénar de 11 heures de ma campagne Goules avec quatre joueurs, les mêmes que lors de la précédente partie. La partie d’hier faisait d’ailleurs directement suite à la précédente même si les thématiques étaient très différentes avec un aspect fantastique beaucoup plus développé puisqu’il était question de voyages dans le temps, de « chasse au trésor » magique et de luttes entre sorciers rivaux.
En termes de construction d’intrigue, j’ai changé mes habitudes puisque, contrairement à ce que je fais d’ordinaire, quand je me suis lancé dans la partie, j’ignorais qui serait le grand méchant ni où se trouvait précisément le McGuffin derrière lequel mes PJ allaient courir.
A la fin de la dernière partie, un des PJ avait été irradié par l’explosion partielle d’une bombe sale, situation dont il ne guérit pas et qui nécessite la consommation d’une grande quantité de sang de vampire pour qu’il ne dépérisse pas. Peu de temps après, il est contacté par un sorcier rencontré lors
d’une précédente partie (qui traitait également de voyages dans le temps) qui lui propose de le guérir en échange de la réalisation d’une mission périlleuse. Il accepte et embarque ses comparses dans l’aventure.
Le sorcier est lui aussi « malade ». Il est victime d’un enchantement qui affecte progressivement ses capacités cérébrales et qui pourrait le laisser à terme à l’état de légume. Au prix de longues recherches, il a identifié qu’il était victime d’un artefact magique : le Croc de
Lamashtu mais il ignore où se trouve cet objet et qui l’emploie contre lui. Il a trois suspects (trois sorciers rivaux et à la vie et l’espérance de vie particulièrement longue) qui ont recherché activement cet artefact mais il ignore lequel l’a finalement acquis. Or, avant de savoir comment organiser une contre-attaque, il faut savoir à qui s’attaquer et le sorcier allié des PJ (dont l’état se dégrade de plus en plus vite) n’est pas en mesure de mener une attaque frontale contre les trois en même temps. Il demande donc aux PJ de voyager dans le temps et l’espace (via un rituel) pour enquêter sur les différents lieux ou époques où le Croc de Lamashtu est apparu afin de découvrir quel rival suspect en a pris possession (ils ne doivent pas empêcher le véritable adversaire d’en prendre possession car cela créerait un trop grand paradoxe temporel… puisque si le sorcier qui attaque l’allié des PJ ne l’a pas, ce dernier n’est pas affecté et ne les envoie pas dans le passé et ils ne peuvent pas empêcher le sorcier d’en prendre possession… etc.).
Problèmes supplémentaires :
- il existe de faux Crocs de Lamashtu en circulation ;
- Le Croc de Lamashtu est très difficile à maîtriser et tant qu’on n’y est pas parvenu, il est quasiment impossible de distinguer un vrai d’un faux (sauf à l’aide d’un médaillon que possède le sorcier allié des PJ et qu’il va leur transmettre pour qu’ils mènent leurs recherches) ;
- Une rumeur (fausse) indique que le secret de l’utilisation du vrai Croc se trouve dans ses répliques.
Compte tenu de ces éléments, un des sorciers suspects pouvait avoir acquis le véritable Croc à une époque X et, ne parvenant pas encore à le maîtriser, continuer à chercher des répliques aux époques X+1 ou X+2.
Enfin, dernier problème et non des moindres : la succession de voyages dans le temps affecte l’esprit et la santé physique des voyageurs temporels et provoque l’attention de créatures : les Gardiens du temps (que j’ai construit sur le modèle des Chiens de Tindalos de Cthulhu) qui peuvent dévorer les voyageurs déstabilisant trop le continuum temporel ou dont l’esprit est trop affaibli.
Le sorcier envoie d’abord les PJ à Bagdad le 9 avril 2003 afin qu’ils volent à un pilleur d’antiquité, ayant participé au
pillage du musée de Bagdad et mort peu après du fait d’une roquette « perdue » (pas si perdue que ça, d’ailleurs), le carnet où il recensait toutes les informations sur le Croc pour le compte d’un mystérieux client (en fait, un des trois sorciers suspects).
Une fois qu’ils disposent de ce carnet (que j’avais effectivement écrit et que mes joueurs pouvaient donc consulter, lire et relire), les PJ disposent de 9 dates et lieu où le Croc (ou une de ses répliques) est apparu (le Croc ou une réplique pouvant apparaître à plusieurs lieux et époques différents au gré des revers de fortune de leurs propriétaires au travers le temps).
(pour chaque lieux et époque, j’ai puisé dans l’histoire ou des faits divers réels ou bien j’ai extrapolé à partir d’évènements réellement advenus ou de biographies de personnes réelles) :
- Palerme 13 avril 1897 :
les objets d’art cambriolés à la famille Florio par deux mafieux quelques mois plus tôt sont tous restitués à leur propriétaire à l’exception du Croc de Lamashtu ;
- Bagdad 21 avril 1922 : L’archéologue et espionne britannique
Gertrude Bell relate dans son journal qu’à cette date, une de ses connaissances dont elle cache l’identité lui a demandé d’authentifier un mystérieux objet : le Croc de Lamashtu (ce mystérieux personnage n’est autre que
St John Philby) ;
- Londres 23 mai 1940 : un objet correspondant au Croc est confisqué à
Sir Oswald Mosley en raison de ses sympathies fascistes et nazies mais il disparait peu après ;
- Gibraltar 4 juillet 1943 : Alors qu’elle revient d’une tournée au Moyen-Orient en compagnie de son père,
Zofia Leśniowska, fille du Premier ministre du gouvernement polonais en exil,
Władysław Sikorski est censée l’avoir dans ses bagages alors qu’elle prend l’avion qui doit la ramener à Londres et qui s’écrase quelques secondes après le décollage (
Kim Philby, fils de
St John Philby et agent double soviétique est soupçonné d’avoir organisé cet « accident ») ;
- Beyrouth 20 octobre 1962 : un marchand d’art indique dans ses mémoires avoir été contacté par une dénommée « EB » qui souhaitait lui vendre un objet ancien et précieux dont la description correspond au Croc mais il ne précise pas s’il l’a acheté ou non (« EB » est Eleanor Brewer, épouse de
Kim Philby à l’époque alors que ce dernier prépare sa fuite à Moscou) ;
- Cadix 29 août 1974 : un journaliste franquiste passionné d’occultisme et qui prétendait avoir acquis un artefact magique correspondant au Croc est assassiné lors d’un cambriolage (le journaliste avait hérité par des voies frauduleuses d’un Croc de la part de l’aristocrate italien fasciste et putschiste
Junio Valerio Borghese) ;
- Nouvelle Orléans 27 avril 1981 : lorsque l’ATF (les douanes US) arrêtent un commando de suprémacistes blancs qui s’apprêtaient à organiser un coup d’État dans l’ile caribéenne de la Dominique (
opération Red Dog), un objet correspondant au Croc est saisi mais il n’atteindra jamais le dépôt de l’ATF ;
- Moscou 16 mai 1988 : Un receleur soviétique est arrêté par la police alors qu’une femme (dont le nom a été effacé des dossiers de la police, ce qui laisse penser qu’il s’agissait d’une personne importante) s’apprêtait à lui vendre un objet correspondant au Croc en échange de devises étrangères (la femme en question est
Rufina Poukhova-Philby, dernière épouse de Kim Philby qui, quelques jours après la mort de ce dernier, tente d’écouler une pièce de valeur) ;
- Birzeit (Cisjordanie) 19 janvier 1992 :
Assassinat de l’archéologue US Albert E. Glock alors qu’il aurait travaillé sur un rapport d’authentification d’un objet correspondant au Croc.
Je n’avais pas fixé à quelle époque le véritable adversaire des PJ avait récupéré le véritable Croc de Lamashtu mais j’avais établi que pour une question de timing, les PJ ne pourraient visiter que trois époques. J’avais donc conçu la structure suivante :
-
étape 1 : l'artefact est un faux et les éléments recueillis permettent d'écarter une ou deux autres époques visitables (parmi celles qui manifestement n'intéressent pas les joueurs) + confrontation avec un ou plusieurs sorciers ;
-
étape 2 : soit l'artefact est encore un faux mais offre des possibilités de savoir dans quelle époque se trouve le vrai, soit l'artefact est le vrai mais ce n'est pas à cette période là qu'il a été acquis par un des sorciers + confrontations avec les sorciers pas encore rencontrés;
-
étape 3 : étape finale permettant de savoir quel sorcier a acquis l'original.
J’ai respecté ce schéma :
Etape 1 : Les PJ ont d’abord choisi de se rendre à Moscou en 1988, ont été confronté aux hommes de deux des sorciers suspects et ont découvert que le Croc de cette époque n’était pas le bon et qu’il était celui que Kim Philby avait acquis à Gibraltar en 1943 et essayé de revendre (sans succès) à Beyrouth en 1962.
Etape 2 : Ils ont ensuite choisi de se rendre à Birzeit en 1992, ont observé les hommes du troisième sorcier suspect acquérant le Croc authentifié par Albert E. Glock (mais celui là aussi était faux) et ont découvert qu’il s’agissait du même faux Croc que celui étudié par Gertrude Bell à Bagdad en 1922 et que St John Philby l’avait offert à Oswald Mosley lorsqu’en 1939 il tenta d’obtenir une place éligible à la chambre des Communes au sein des partis fascistes britanniques qui se présentaient aux élections et qui fut ensuite saisi par le gouvernement britannique en mai 1940. Le faux Croc avait ensuite été offert avec d’autres objets par le gouvernement britannique au gouvernement israélien en 1956 comme « gage d’amitié » lors de l’assaut commun contre le canal de Suez et les Israéliens l’avaient offert au gendre d’un membre important de l’OLP pour qu’il les tiennent informés des positions internes de l’organisation de Yasser Arafat pendant les négociations secrètes des accords d’Oslo.
Etape 3 : Les PJ décident de se rendre à la Nouvelle Orléans en 1981 et constatent que le Croc est le vrai et peuvent découvrir lequel des suspects en a pris possession. Ils comprennent qu’il s’agit de celui de Palerme de 1897, récupéré à l’époque par la mafia puis par le pouvoir fasciste dans la guerre menée à la mafia dans les années 20-30, détenu par le prince Borghese jusqu’à sa mort en 1974 à Cadix et qui est ensuite passé de main en main dans les cercles d’extrême-droite jusqu’en 1981.
Riches des informations obtenues lors des différents sauts dans le temps et bien qu’affaiblis physiquement et mentalement par les sauts dans le temps, les PJ vont être en mesure d’affronter le sorcier, de supprimer ses puissants sbires puis de l’éliminer en orientant la colère des Gardiens du temps vers le sorcier coupable via un tour de passe-passe magique.
Une fois rétabli, l’allié des PJ tient sa promesse en guérissant le PJ irradié mais la méthode employée, traumatisante puisqu’elle suppose la mort temporaire du PJ, est susceptible de faire évoluer le personnage.
Mes joueurs m’ont assuré avoir beaucoup aimé la partie et c’est également mon cas même si je suis un peu déçu de la partie se passant à Birzeit que j’aurais pu et dû rendre plus rythmée et plus riche.
Pour mener cette partie, cela m’a demandé à la fois beaucoup de préparations (les 9 époques et lieux visitables avec des illustrations des PNJ et des musiques dédiées + l’écriture du carnet du pilleur d’antiquité de l’étape bagdadienne de 2003) et beaucoup d’improvisation (puisqu’il fallait que je trouve une trame logique reliant entre eux certaines époques et pas d’autres) en me basant sur l’histoire réelle de St John et Kim Philby et celle des mouvements fascistes et d’extrême-droite internationaux pour créer des connexions.
En fonction des choix d’époque que mes joueurs ont fait, le destin des Crocs (les vrais et les faux) auraient pu être très différents (par exemple : Le Croc de Mosley en 1940 était un faux, a été détruit dans un bombardement allemand de Londres et était le même que celui de Palerme en 1897 et avait été offert à Mosley par Mussolini en 1936. Celui de Bagdad en 1922 de St John Philby était le vrai mais il lui est dérobé peu après, Kim Philby le récupère en 1943 en faisant assassiner au passage Zofia Leśniowska et son père, en fait faire une copie qu’il vend pour avoir des liquidités avant de partir pour l’URSS à Beyrouth (objet pillé par un soldat israélien lors de la guerre entre Israël et Liban en 1982 et qu’on retrouverait dix ans plus tard à Birzeit) et le vrai est celui de Moscou en 1988 que Rufina Poukhova essaye de vendre… Ce n’est qu’une possibilité parmi beaucoup d’autres, les options étaient nombreuses). Et en fonction de l’histoire des Crocs, certains adversaires étaient plus cohérents comme acquéreur final que d’autres. Voilà pourquoi je n’avais pas établi qui serait le grand méchant de l’histoire.
C’est intéressant de mener ainsi mais je ne recommencerais pas à mener une partie basée sur cette structure souple tout de suite. Tout d’abord parce que le travail à mener en amont est considérable et ensuite parce que quand je pense aux implications larges de mon histoire, je n’ai pas le temps de réfléchir aux réactions plus immédiates aux actions de mes joueurs et cela a sans doute contribué à la petite faiblesse du passage à Birzeit.
Mais, malgré ces petits bémols, ce fut une partie très agréable à mener.
Contraint par ses joueurs à être le Luc Besson du JdR.
- Bayushi F'Ramir : Que demande le peuple ?
- Nevenka : Des putes roumaines et un compte en banque en Suisse ?