mercredi 10 juillet 2002, par
Bonjour amis lecteurs ! Pour commencer cette rubrique en beauté, voici l’interview du créateur de SOLSYS et de SOLSYS Apocalypse, deux univers de jeu de rôles ‘on line’ d’excellente qualité.
MJ-Ezine : D’abord une présentation de toi, Alexandre Karadimas :
Tu bosses dans quoi ?
Alexandre Karamidas :J’ai fait une école de commerce, c’est là où j’ai découvert le jeu de rôle. Après mes études, j’ai fait divers boulot "comme il faut", dans des banques, des banques en ligne (entre autres choses, j’ai été webmaster pour un courtier en ligne) et finalement comme consultant en e-business. J’ai récemment démissionné, pour reprendre mes études en Septembre, et devenir finalement prof d’histoire-géo.
MJEZ : Sacrée ré-orientation !
AK : Jusqu’à présent, je faisais ce qu’on (ma famille comme mes amis) attendaient de moi, sans que cela corresponde vraiment à ce que je pouvais faire de mieux. Je crois qu’il arrive un moment où il faut vivre sa vie à soi, même si on y gagne moins d’argent et, partant, le respect social qui y est lié.
MJEZ : Puis-je te demander ton âge ?
AK : 28 ans le 11 Mai...
MJEZ : Tu joues depuis combien de temps ?
AK : J’ai commence en 1994. Ca a été le coup de foudre immédiat. Il faut dire que dès la fin des années 1980, je me suis mis à écrire, des petites histoires med-fan déjà très orientées "technologie". Je faisais des schémas de villes, de véhicules, de monstres ... J’étais MJ/créateur avant même de savoir ce que c’était ! Ma grande inspiration était la BD "le Mercenaire" (de Ségrelles, NdR), qui reste pour moi l’idéal du méd-fan.
MJEZ : Jeux préférés, jeux les plus pratiqués ?
AK : J’ai longuement maîtrisé exclusivement "Star Wars", car j’étais un gros fan des films. Mais je leur donnais un côté assez "pulp" (genre Indiana Jones), et finalement je me suis mis à maîtriser "l’Appel de Cthulhu". Ce sont les deux jeux commerciaux que j’ai jamais maîtrisés. Sinon j’ai beaucoup pratiqué "Rolemaster", en tant que joueur.
MJEZ : Maintenant parlons du jeu lui-même :
Qu’est-ce qui t’a poussé à créer "Solsys", comment est née l’idée ?
AK : Comme je l’ai indiqué avant, j’ai commencé très tôt à créer mes propres univers. Dans les parties qui se passaient chez moi, il y avait toujours plein de bouquins ouverts (de l’Art Nouveau jusqu’à un Larousse de 1904), et je créais toutes sortes de documents et d’aides de jeux (notamment des feuilles A4 vieillies au thé, que mes joueurs perforaient pour les ranger). Je fourmillais d’idées, il me fallait un univers pour les rassembler. En 1997, j’avais fait le tour de "Star Wars" ; j’avais lu une simple présentation de "Mutant Chronicles", et j’avais bien aimé le côté désespéré et retro (les combattants du futur en uniformes de 14-18, notamment). Sur cette présentation extrêmement lacunaire, avant même de connaître les livres, je me suis mis à écrire des scénarios, à la faveur d’un stage particulièrement ennuyeux. Deux semaines après avoir commence à écrire ces scénarios, je suis allé lire les livres "Mutant Chronicles" rue des Ecoles. C’était tellement éloigné de l’idée que je m’en faisait que j’ai décidé de continuer dans ma voie. Si je m’étais douté que ça déboucherait sur "Solsys" !
MJEZ : Pourquoi avoir choisis un univers de science-fiction ?
AK : C’est en fait moins un univers de SF que d’anticipation. Il s’agit de notre système solaire, d’une continuation de notre histoire et de nos cultures. Je suis même tenté de dire que "Solsys" est un univers "contemporain futuriste", comme Solsys-Apocalypse est un univers "contemporain post-apocalyptique". Tant qu’un personnage peut montrer une photo de son ancêtre posant à côté d’une Clio, on ne se trouve pas vraiment dans les poncifs de la SF.
MJEZ : Quels sont les autres jeux et univers qui ont influencé Solsys ?
AK : L’influence la plus évidente à mes yeux sont les livres de Jules Verne : il offre une vision technique et économique que l’on retrouve dans le ton de "Solsys" ; c’est toute la différence entre "Robinson Crusoë" et "L’île mystérieuse". Je pense retrouver cet amour de la technologie, peut-être bien français, dans "Polaris". La seconde influence est une influence en négatif, le JDR "Star Wars". On joue à "Star Wars" très superficiellement, mais sans être confronté à un monde réellement futuriste, et les interrogations qu’il soulève. "Star Wars", comme Star Trek, souffrent d’idéalisme, il manque le côté plus terne, voire plus sordide, des affaires humaines. Dans la myriade d’autres influences, je noterais assez bizarrement une étude sur l’économie soviétique. "Solsys" est également l’illustration d’un monde où les impératifs de survie rendent une économie de type soviétique préférable à une économie de marché. Une inspiration, c’est un point de départ, le jeu peut servir à la développer.
MJEZ : Tu as déjà mentionné Isaac Asimov et Jules Verne, y a-t-il d’autres auteurs d’anticipation dont tu t’es particulièrement inspiré ?
AK : C’est difficile à dire, je dévore de la SF depuis que j’ai dix ans ! Je pense que la SF américaine des années 50 (Ray Bradbury bien sûr, mais également des films "pulp" comme "Tarantula") a joué une grosse influence, et également des mangas très technologiques, comme "Akira" et "Ghost in the Shell" (de Shirow Masmune, NdR) ; je retrouve d’ailleurs dans ce dernier un côté maniaque et technophile qui correspond pas mal à "Solsys".
MJEZ : Mènes-tu régulièrement des parties de Solsys ?
AK : Depuis les 2 parties d’ERA en 1997, je n’ai masterisé Solsys qu’une seule fois, et en Mars 2002 !
MJEZ : N’est-ce pas handicapant pour le développement d’un jeu de le pratiquer si peu ?
AK : Disons que le jeu et surtout le site n’auraient pas vu le jour si j’avais pu continuer à pratiquer le JDR normalement ; j’y travaillais pour compenser l’absence de parties. Maintenant que l’univers est bien développé et que je reviens en France, je vais pouvoir développer des aides de jeux plus précises pour mes parties (des cartes, des PNJ, des "documents d’époque ") et les mettre en ligne ensuite.
MJEZ : Quels thèmes, quelles intrigues développes-tu en général, que mets-tu en avant de ton univers dans ces scénarii ?
AK : Vaste question. ! En fait, "Solsys" étant un univers très vaste -"L’Encyclopédie du Système Solaire" devait à l’origine servir comme source d’inspiration et d’aides de jeu pour des MJ SF- il n’y a pas de problématique de jeu bien définie, du type "Rébellion contre Empire", comme le proposent une pléthore de jeux commerciaux. Regardez notre monde, à mille kilomètres de nous, des femmes marocaines se tatouent au henné, des pêcheurs risquent leur vie en mer, une hôtesse de l’air verse du soda à une star de cinéma, une vieille femme se fait escroquer sur son contrat d’assurance, des militaires torturent un homme en prison. La diversité des problèmes que l’on rencontre est à la mesure de la diversité de l’homme. Personnellement, j’accentue le côté "espionnage" dans mes scénarios, mais cet univers se prête tout autant à du combat, de l’investigation, de la découverte ou du fantastique. Pensez qu’Alien n’est jamais que du "Cthulhu" dans un environnement à la "Solsys".
MJEZ : Peux-tu décrire le processus de création d’un tel univers ?
AK : Je ne crois pas qu’on puisse se mettre un jour devant son clavier et se dire "je vais faire un univers géant". Toutes les réalisations de ce type proviennent d’un lien étroit du créateur avec sa création, et comme toute relation, elle s’enrichit de divers événements et fortunes de la vie.
_1ère phase : "ERA"
La première mouture de cet univers s’appelait "ERA", il s’agissait de 5 livrets écrits sous Word (en 1997 Internet était trop peu répandu), que j’avais réalisé dans le même stage incroyablement ennuyeux. A l’époque, je travaillais en parallèle sur mon mémoire à propos de la RMA (Revolution in Military Affairs), ce qui explique la composante militaire détaillée de "Solsys". Sur le site actuel, la campagne d’introduction est encore de cette époque.
J’avais réalisé ce jeu pour mon groupe de rôlistes de l’école, groupe qui se désengageait du JdR à l’entrée dans la vie active. "ERA" n’avait pas réussi à enrayer cette désaffection, et je l’ai laissé de côté après deux parties désastreuses, dégoûté.
_2nde phase : la traversée du désert
Peu de temps après, je me retrouvais seul en Allemagne, sans aucun joueur, dans un job très peu créatif. Je me suis mis à me familiariser avec l’édition de pages web, puis avec le traitement d’images. De cette époque date le site "Les Flèches d’Argent" (fleches.ifrance.com), et mon entrée dans la communauté (le microcosme !) des rôlistes sur internet. Ayant eu du temps à tuer entre deux jobs, je me suis dit "je vais mettre "ERA" en ligne, peut-être cela servira-t-il à quelqu’un". Comme "ERA" était un nom trop galvaudé (y compris par la Scientologie), j’ai intitulé le site "L’Encyclopédie du Système Solaire".
_3ème phase : le développement continu
Un mois plus tard, les miracles de la Nouvelle Economie m’avaient mis au chômage, pour 4 mois. Pour passer le temps, je me suis mis à faire quelques corrections, une présentation plus agréable du site, de fil en aiguille, je me suis mis à développer le jeu. C’est le grand avantage d’éditer son jeu sur Internet : on peut faire des ajouts progressivement, au gré du temps libre et de l’inspiration, sans avoir à livrer un gros bloc à un éditeur.
Toujours en exil, et avec une vieille version de 3D Studio, j’ai pu développer "Solsys" très progressivement, à mon rythme, comme le calcaire se forme par agrégation (comme les universitaires, BDdR*) !
Mon unité de livraison est le "dossier", 4-6 pages sur un même thème. Plusieurs dossiers parviennent ainsi à créer un monde complexe et détaillé, tout en restant à une taille acceptable pour boucler le sujet avant que l’inspiration ne passe.
Un jour, je passerais à autre chose, mais grâce à Internet, le résultat sera toujours disponible aux joueurs, lorsque les livres qui viennent de paraître seront devenus des objets de collection.
MJEZ : Pourquoi travailler seul ? N’est-ce pas se limiter ?
AK : Effectivement, il est difficile de travailler seul. Je sous-traite la réalisation des illustrations 2D à des illustrateurs, mais je m’occupe en plus des illustrations 3D. Je pense que ce sera un processus de création progressive, comme avec Solsys. Le désavantage de cette méthode, c’est que les visiteurs devront rester un moment sur leur faim.
J’ai reçu assez tôt plusieurs contributions, dont j’ai gardé la majorité -le nom des contributeurs est toujours affiché. Le problème avec des collaborations sur le plus long terme est la maîtrise d’ouvrage : comme je dois veiller à la cohérence de tout ajout avec le reste de l’univers, cela bride pas mal de créateurs. Sinon, il y a une myriade de petites choses qui restent à faire, comme pour tout jeu de rôle, mais c’est ce qu’on appelle " le travail ingrat ".
Je vais continuer seul sur "Solsys" et ses dérivés, mais si je devais commencer un nouveau jeu à zéro, je pense que je m’associerai avec d’autres créateurs. Tant que je développe mon univers, je suis seul maître du contenu. Ceci n’est plus possible à plusieurs, sauf si on décide d’une hiérarchie, assez rare et assez fragile dans le cadre du bénévolat. Bien d’autres raisons s’ajoutent à cette considération fondamentale pour dire qu’une réalisation à plusieurs ne sera aboutie que si elle est commerciale. Un bon exemple pour cela est "R.A.S." : même si les créateurs travaillent in fine pour eux (édition à compte d’auteur), les considérations commerciales les aident à faire aboutir leurs projets.
MJEZ : Dans quel sens s’oriente maintenant le développement de l’univers ?
AK : Je travaille déjà sur plusieurs projets interconnectés à "Solsys", pour en faire une saga, un peu comme les sagas d’Asimov sur "Fondation" et "Les Robots" s’entremêlent dans une vaste cosmogonie. Lorsque cela sera achevé, il sera possible de jouer d’aujourd’hui à une période d’exploration interstellaire, dans la problématique "Solsys". Cela aura un petit côté "l’histoire de l’homme". Par exemple , " Solsys Nea Ekkenosi " se situera dans les années 2500, la Terre aura été terra-formée, le reste du système solaire aura radicalement changé par rapport à la période des années 2150 de "Solsys". Il y aura une problématique centrale de jeu, comme dans "Solsys-Apocalypse" et contrairement à un univers "ouvert " comme "Solsys".
A la fin, je prévois une campagne dans laquelle un secret familial entraîne les PJ, génération après génération, à travers tout ces univers.
MJEZ : C’est très ambitieux...Ne crains-tu pas de te disperser et d’aboutir à un vaste "survol" de ton univers ?
AK : Je compte rester dans le principe des jeux jouables séparément. Cela m’obligera de m’y consacrer sérieusement, et de prendre le temps nécessaire, mais me donnera également plus de libertés que si je devais graviter autour de l’univers central. Disons que ces autres univers n’auront pas besoin d’être aussi fourni que "Solsys", puisqu’ils s’en inspireront pour tous les détails historiques et techniques. Pour les univers futurs, il suffira de mentionner ce qui a changé, comme les évolutions géostratégiques ou les nouvelles technologies disponibles. C’est également plus commode, pour les MJ comme pour les joueurs, qui s’y retrouveront aisément.
MJEZ : "Solsys-Apocalypse" est une "préquelle" au jeu, pourquoi avoir développé en priorité le "passé" de ton univers ?
AK : Dans "Solsys", une partie de l’humanité a dû quitter la Terre à cause de la guerre nucléaire, pour faire du système solaire sa nouvelle patrie. Cette période est tout juste évoquée, mais les hypothèses auxquelles elle obéit sont dignes d’un jeu à part entière, donc un peu indépendant de la problématique de "Solsys", mais il aide à faire le trait d’union entre notre monde actuel et ce monde futur. En jouant à "Solsys-Apocalypse", on comprend comment l’humanité a pu décider de s’exiler dans l’espace. De plus, il ajoute beaucoup de relief à "Solsys" par contraste : les ancêtres des colons actuels (c’est à dire notre génération) ont connu l’enfer pour que leur descendance puisse vivre en sécurité dans l’espace.
J’en ai fait un jeu véritablement post-apocalyptique, où la guerre nucléaire est au centre de la problématique, loin du sempiternel prétexte pour faire de la baston à la Mad Max avec des zombies (ce qui est bien aussi, hein) : "Solsys-Apocalypse" est bâti d’après un rapport d’experts sur la guerre nucléaire, il est très bien documenté, ce qui le rend d’autant plus effrayant ; mais le plus important, c’est qu’il parle de gens normaux mis dans cette situation. C’est un jeu très sombre par moment, et qui suscite pas mal d’interrogations.
Les deux jeux sont liés, mais on peut parfaitement les jouer séparément en ignorant l’un ou l’autre. Ils touchent d’ailleurs chacun un public différent, comme je peux d’ores et déjà le constater ; c’est un jeu se situant entre "Solsys" et notre monde quotidien, qui permet une forte identification du joueur à l’environnement de jeu.
MJEZ : Pourquoi mettre ton jeu en ligne gratuitement plutôt que de chercher à le faire éditer dans un circuit commercial ?
AK : C’est une question absolument cruciale pour moi. Le jeu de rôle est l’une des rares activités où l’on ressent le plaisir de donner. Le MJ se met en quatre pour que plusieurs joueurs s’amusent, et le fait de donner son temps et son travail aux autres est tout à fait remarquable.
Comme tout MJ, je mets mon travail à disposition des autres (MJ et joueurs), gratuitement. La rémunération de mon travail n’entre tout simplement pas en ligne de compte, car même si j’éditais ce jeu avec succès, mes revenus ne pourraient pas être à la mesure du travail que j’y ai mis.
L’édition papier apporterait un confort d’utilisation au MJ, ainsi qu’une meilleure diffusion, mais je ne voudrais pas que quelqu’un en vienne à ignorer "Solsys" parce que les livres seraient trop chers pour lui. C’est justement parce que je ne pouvais pas m’offrir de livres "Star Wars" étant étudiant que je persévère à mettre mon jeu gratuitement à disposition.
MJEZ : Un conseil pour les créateurs amateurs ?
AK : Si j’ai un conseil à donner, c’est de prendre conscience, dès le départ, de la charge de travail qui correspond à leur ambition. Beaucoup de projets intéressants échouent parce que les créateurs travaillent tous azimuts, et sont rapidement débordés. Pensez à la fable du Lièvre et de la Tortue, travaillez à votre rythme sans précipitation, au gré de votre inspiration. Créer doit rester un plaisir.
Merci !!! ;-)
(Interview réalisée par Wenlock.)
*BDdR= "Blague Débile du Rédacteur".
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