mercredi 28 novembre 2012, par
Mauvaise passe est une nouvelle dans laquelle, Luna, une jolie contrebandière est victime de clients mal intentionnés suite à la récupération d’une "cargaison" d’une très grande valeur.
Le ballet des poissons multicolores donnait une agréable impression d’avoir payé pour le plus grand spectacle d’Azuria, Luna était aux anges. Parfois le passage d’une pieuvre majestueuse égayait les bancs scintillant qui se reformait juste après dans une coordination admirable. Les dauphins faisaient la course en enchainant les cabrioles les plus drôles et dextres qui fut donné de voir. Après avoir vu de telles merveilles, on pouvait mourir heureux. On pouvait tout supporter…
La gifle, d’une violence inouïe, arracha Luna de son rêve éveillé. Face à elle, son tortionnaire sourit en la voyant revenir à la réalité. La dernière série de coups l’avait propulsée dans les limbes et elle émergeait, emplie d’une terreur viscérale. Jamais elle n’avait connu pareille situation. Elle allait mourir, elle désirait cela plus que tout. Mais que la douleur s’arrête. Elle hurla, son abdomen se contracta, sa voix se brisa. Il écrasa ses derniers doigts avec un marteau.
Plusieurs jours plus tôt, Luna cherchait encore des con-tacts pour écouler une petite cargaison de drogue. Des neuro-algues qui faisaient rigoler pendant quelques minutes. Légèrement hallucinogènes. La marchandise lui avait été refilée en guise de paiement pour l’une de ses dernières affaires. Elle préférait les plaquettes de sols, mais le troc permettait d’augmenter les revenus, si on savait bien négocier la revente. Et elle était bonne à ce jeu, même si revendre de la drogue rajoutait de la difficulté. Un type, l’air fatigué, se rapprocha. Pendant qu’elle contemplait ses cernes et son teint jaune à la recherche d’une maladie contagieuse, il tira de sa poche un petit disque de données.
« J’offre ça contre une dose de ton truc. »
« Tu sais déjà ce que j’offre ? » La perspective que son éphémère trafic soit déjà connu posait problème. Les autorités étaient vigilantes.
« Ça fait passer le temps, et shoote un peu, non ? Alors c’est ce que je veux. » Le type bégayait un peu, la voix faible. Soit un bon acteur, soit un camé au dernier stade. Affaire faisable.
« C’est quoi, ton disque ? Je veux en avoir un visuel, et le scanner vite fait pour éviter toute saloperie de virus ou de traqueur. »
Il tendit l’objet qu’elle inséra dans son ordinateur portable. Il commença son boulot. Pour faire passer le temps, elle s’enquit des dernières nouvelles, de savoir quels étaient les bons endroits dans la cité. Comme si ce déchet pouvait connaitre où s’amuser ou bien manger. Après quelques grognements et silences gênés de l’acheteur, l’ordinateur émis un bip de satisfaction. Le disque était clean. Enfin d’après ses programmes d’analyse. Le risque zéro n’existait plus depuis la chute de l’Alliance Azure.
Luna passa rapidement en revue la liste des données. Des cartes, des coordonnées, des listings de vaisseaux de transports. Le parfait manuel pour pirate en goguette. De la merde en barre sans information plus alléchante.
« T’as eu ça où, mon ami ? »
« Je l’ai pris sur un cadavre dans une ruelle, un type avec une araignée tatouée sur le bras. » Il fit une réplique du bout de son doigt sur la paroi de la coursive. La Confrérie de l’Araignée. Là, ça devenait vachement plus intéressant. Luna se dit que le prix pour avoir ce disque était faible, une dose. Elle paya. Elle commit sa plus grosse erreur.
Il lui fallut quelques heures de lecture attentive pour commencer à comprendre la vraie nature de son achat. Il s’agissait des données sur le trafic des navires autour de Chiloé, toutes les compagnies, tous les navires réguliers, et surtout, toutes les marchandises. Avec les cartes de leurs déplacements les plus fréquents en prime. La liste des navires d’escorte, et leur potentiel de défense, étaient aussi indiqués. Pour une bande de pirates, cela était une aubaine, le type qui avait fait ça était un bon. Il avait indiqué la probabilité de croiser les navires selon leur cycle de déplacement. Normalement, dans une zone où les forbans croisaient à quelques milles, soit les capitaines embarquaient des soldats et intégraient un convoi important, soit ils adoptaient des itinéraires non prévisibles. Cela évitait de donner une rente d’abordage aux pirates. Mais bien entendu, les compagnies qui employaient les navires de transport ne voyaient pas d’un bon œil que l’on rende les livraisons erratiques. Un entrepreneur, ça aime la routine, surtout celle du son des plaquettes qui tombent. Donc le type qui a conçu cette base de données a passé un temps fou à enlever les trajets uniques, analyser les récurrences de livraison... Une mine d’or. Son camé était un malade pour vendre ça.
Luna se reversa un fond de verre de ravageuse. L’alcool lui brula fugacement les lèvres. Elle souriait. Elle se ferait un fric fou en vendant les infos. Mais au lieu de les donner d’un bloc, elle les vendrait à la découpe. Plus rentable. Une montagne de sols apparut dans ses yeux.
Elle approcha quelques-uns de ses contacts, qui s’étaient fait une spécialité de laisser trainer leurs oreilles dans les coursives, à l’affut du moindre cancan. L’information, c’était le pouvoir. Et celui qui maitrisait les systèmes de flux d’information était le roi du monde. Très vite, quelques personnes s’enquirent de savoir combien et comment elle vendait les données. Elle fixa des rendez-vous dans des endroits connus et peuplés. Luna discuta avec deux personnes qui s’avérèrent pour la première un simple petit contrebandier sans le sou qui voulait une association et pour l’autre, certainement un agent du renseignement d’une nation influente dans la cité. Bref, pas de bons acheteurs. Le troisième fut bien plus intéressant. D’une carrure suffisante pour être un bon lutteur, avec quelques cicatrices et un regard dur, de tueur. Il fleurait bon le pirate.
« Bien poupée, on va faire simple. Il parait que tu as des infos qui intéressent mon capitaine, mais on n’est pas des jeunes poissons clown, donc je choisis une petite partie de ce que tu proposes, on te paye de suite 60% de la petite fraction sélectionnée, histoire de montrer notre bonne volonté, on vérifie la fiabilité de ton matos. Si ce que tu proposes est pas trop mal, on te paye les 40% restant… si c’est vraiment bon, on réfléchira à acheter le reste… et si c’est mauvais… »
Il fit volontairement baisser de manière menaçante sa voix en laissant en suspend la phrase. Il excellait dans l’intimidation pour jeune loup de mer. Luna se sentit presque émoustillée. Tout cela lui convenait, sauf les deux autres loustics qui lui dardaient le dos en faisant semblant de regarder du matériel de plongée. Même typologie que son interlocuteur, ils étaient avec lui. Ou pas. Une vérification s’imposait.
« C’est d’accord. » il fallait qu’elle fasse comprendre qu’elle était une dure. « Mais la prochaine fois que tu viens avec deux copains alors que j’ai dit seul, je t’arrache les couilles d’un coup de dent. Compris ? » Elle avait usé d’un ton badin, pour faire passer diplomatiquement sa menace, une manière de dire qu’elle avait l’habitude de ce type d’embrouilles. Le pirate fit la moue, se redressa, essaya de faire rouler les muscles des épaules, et finit par acquiescer. Il tira de la liste quelques informations susceptibles de l’intéresser, paya une partie de la somme demandée et se tira, ses deux clébards aux basques. Les affaires prenaient une bonne tournure.
Luna ne trouva pas d’autres acheteurs, mis à part des agents de sécurité. Le contrebandier à la petite semaine insista pour négocier encore, elle refusa. Il tenta même la drague en lui offrant un joli collier de corail. Elle prit le collier mais refusa de vendre ses données. Son plan prenait un peu l’eau. Elle fut contactée par son unique débouché commercial pour qu’il paye ce qu’il restait et surtout il voulait en avoir plus. Elle comprit que jamais elle ne pourrait avoir plus de chance et se lança dans l’affaire. Il la retrouva dans un bar bondé qui avait la particularité d’abriter une faune trop défoncée pour écouter les conversations.
« Bien, on est très content de tes données, poupée. On s’est fait une jolie aventure avec. Et comme elle a été juteuse, le capitaine se dit qu’il pouvait acheter l’ensemble, si bien sûr tu évites d’être trop gourmande. Qu’en dis-tu ? »
« J’en dis que si vous me payez 100 000 sols en plus, ça devrait le faire. Mais en attendant, puis-je palper la somme déjà convenue ? » Il lui donna discrètement quelques plaquettes.
« 100 000 ! Tu n’y vas pas avec le dos de cuillère, toi ! Si tu acceptes 90 000, c’est bon pour nous. » Il ne négociait quasiment pas, Luna sentit une embrouille. Elle rehaussa de 5 000 et il tendit la main pour conclure. Elle fixa le lieu de la rencontre pour avoir l’ensemble de l’argent, finit son verre l’air tranquille et sortit. Elle bouillait intérieurement. D’habitude, la racaille des mers négociait comme des damnés, et là, elle avait juste dû baisser de 5 000 sols ses premières exigences. Une affaire aussi simple, dans ce milieu, ça puait l’arnaque. Trop concentrée sur ses pensées, elle ne vit pas venir le bras poilu et puissant qui lui enserra la gorge. Elle essaya de se débattre, mais un deuxième larron l’empêchait de frapper là où ça fait mal. Elle sombra, étouffée.
Quand elle reprit connaissance, son acheteur la regardait, l’air mauvais. Un autre gars lui fit l’effet d’un cobra des mers, le mal incarné, venimeux au possible. Il prit la parole, avec une voix douce sous laquelle on sentait la haine percer.
« Nous avons été très satisfait de tes informations, mais vois-tu, je ne compte pas payer une somme aussi ridicule. Nous sommes une petite confrérie et sais-tu ce qui permet à un groupe de se faire une place parmi les grands ? L’absence totale de pitié et la haine. Donc, dis-nous où se trouve le reste des informations et on ne te fait pas trop mal. »
Luna refusa. S’en suivit une longue et très douloureuse explication avec le malabar. Il lui demanda si elle aimait ça, de souffrir. Le type était vraiment barge. Il cognait dur. Parfois d’autres venaient regarder, rigoler, la tripoter. Mais ils repartaient tous, avec un air écœuré et effrayé. Ils avaient une peur panique de leur capitaine et de son second. Ils venaient uniquement pour montrer qu’ils étaient des durs. Ils puaient tout de même la terreur.
Luna ne put même pas crier, tant la douleur était forte. Elle venait de perdre le contrôle de son corps, pleurait et essayait de se rappeler où elle avait mis le disque. Son esprit n’arrivait même plus à se concentrer sur cette tache pourtant simple. Ses deux bourreaux ne savaient absolument comment on torturait quelqu’un, ce n’était que ces viandards qui appréciaient la douleur des autres. Ils avaient presque oublié la raison de leurs actes, en quasi transe. Ils allaient la tuer, plus par plaisir que par besoin.
La rafale sourde arracha la moitié du thorax du gorille. Le capitaine se retourna et fut frappé par une main griffue qui acheva le travail en quelques coups. Le jeune contrebandier rentra, accompagné par un mutant sorti tout droit d’une histoire pour jeune mousse. Il la détacha et l’emmena. Elle prit le temps et la force d’arracher les parties intimes de son tortionnaire. Elle payait toujours ses dettes.
Le jeune homme fut au petit soin durant les deux semaines où sa vie fut ballottée entre mers et cieux. Elle passa dans les mains expertes d’un toubib compétent et surtout équipé de nano-machines. Luna s’en sortit. Le traumatisme restait profond, plus psychologique que physique. Elle avait connu la haine la plus féroce, sans aucune comparaison avec son passé. Son sauveur s’appelait Lance. Il arrivait de Volcania où il avait acquis un navire. Un Orca dans un piteux état. Elle ne comprenait pas comment il l’avait trouvé.
« Merci d’avoir accepté mon cadeau, cela a facilité les choses. Même si les services de sécurité de cet enfer m’ont mis des bâtons dans les roues. Pister un signal radio dans ce bordel de fréquences et de systèmes de cryptage, c’était chaud. Vous pouvez garder le collier, mais je dois lui enlever la pierre centrale. Je peux vous la remplacer par une autre, moins technologique. Vous aimez quoi comme pierre, enfin, pas précieuse, hein, juste… »
« Pas la peine de vous fatiguer. » Luna le coupa avec une voix faible mais ferme. Le débit de parole de ce type prouvait sa profonde gêne. Elle ne savait pas pourquoi il semblait dans ses petits souliers.
« Dites, ce n’est pas la vue d’une fille qui vous impressionne, n’est-ce pas ? »
« Non, pas du tout, vous ne seriez qu’une fille parmi tant d’autres, ben, je ferais comme d’habitude, mais vous êtes un peu spéciale. »
« En quoi ? »
« Vous êtes la seule personne qui puisse répondre à mon projet. Vous avez des informations qui pourraient mettre fin à une traque de cinq ans. Il me faudrait le disque de données que vous avez acquis je ne sais comment. Et malheureusement, comme les dernières fois, je ne suis pas riche, donc la rétribution financière sera faible voire quasi inexistante. Mais vous pouvez m’accompagner… »
« Je ne pige pas, vous désirez ces données pour faire quoi ? Et Je vous accompagnerai dans quoi ? »
« Je cherche un navire bien précis, qui aurait coulé en bordure du No Man’s land. Il contient une cargaison, que je ne connais pas en détail, mais ce n’est pas ça qui m’intéresse. La cargaison sera à vous et à mes autres associés, ma part est pour vous. Et vos données pour-raient nous informer sur la nature de ce qu’il transportait et où il se trouve actuellement. »
« Ce fichier n’indique pas où les vaisseaux se sont abimés. Juste les trajets les plus fréquents. »
« Oui, mais je sais de source sûre qu’il effectuait un transport dont il avait l’habitude. Donc c’est très certainement référencé. Et après, et bien c’est une question de recherche et de chance. Ainsi que la cargaison, c’est ce qui pourrait vous intéresser, non ? »
« Non, je ne fais que de la contrebande, je ne suis pas chasseuse d’épave. Et vous avez une idée du coût et de la logistique qu’il faut pour ce type de boulot ? »
« J’ai tout cela, enfin, presque… » Il avait un petit sourire en coin, un sourire que Luna n’appréciait pas, un de ceux qu’un dolphin malicieux vous réserve. Un coup tordu.
« Et je vous ai sauvé la vie, ça peut être une raison de plus de me faire confiance. » Il marquait un point, échec et mat. Luna accepta.
Vivement la suite. Je suis à ta dispo pour relecture et mise en page :)
Heu, merci...
La suite est en cours de relecture et amélioration. A priori, la nouvelle complète s’étalera sur 3 à 4 chapitres.
Tout à fait d’accord : 5/5
Excellent.
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